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“Bleu nuit”, Dima Abdallah

Sabine Wespieser, janvier 2022, 232 p., 20 €

L’autrice de « Mauvaises herbes » fait le portrait d’un quinquagénaire obsédé par ses souvenirs. Agoraphobe, enfermé dans son appartement parisien depuis des années, il a été renvoyé de son travail, a perdu ses amis et la femme qu’il aimait depuis longtemps. Un jour de mars 2013, un coup de téléphone lui apprend la mort de celle-ci. Ebranlé, il prend quelques affaires, sort de chez lui et jette la clé dans une bouche d’égout. Son geste agit comme une libération : en même temps qu’il se retrouve littéralement à la rue, sa phobie s’envole, il renoue avec l’espace public, les gens, les odeurs, le bruit. Comme par un effet de vases communicants, notre homme entend se remplir du dehors pour se délester de son fardeau intime. Il veut renaître vierge de tout souvenir, redevenir « un être humain ». Ainsi, au fil du temps il quadrille l’espace urbain en marchant, observe, expérimente des rencontres muettes, prend des habitudes et apprivoise Minuit, la chienne du Père-Lachaise. Mais la rue abîme et avale ses habitants permanents, les saisons passent et le héros n’échappe pas à la clochardisation tout en s’enfonçant dans sa propre nuit hantée. Voici l’histoire d’un homme victime de troubles post-traumatiques qui ne sait comment vivre au présent. Or l’enfermement n’est pas ici une question d’espace, comme il semble le penser, car il est lui-même sa propre prison. En son for intérieur une bataille perdue d’avance s’est engagée entre la « mémoire poétique » décrite par Milan Kundera, qui enregistre ce qui fait la beauté de la vie, et la mémoire monstrueuse de la guerre. S’il rejette la première par culpabilité, alors il se condamne lui-même à toute possibilité de vivre au futur.  

Aline Sirba

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