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« Alegria », Manuel Vilas

Traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon, Points, octobre 2022, 448 p., 8,70 €

Après la parution d’« Ordesa », Manuel Vilas fait le tour des librairies et des festivals où ses défunts parents, héros anonymes tirés de l’oubli et rendus célèbres par leur écrivain de fils, réveillent la mémoire de lecteurs (pour certains d’anciens intimes) reconnaissants de l’exhumation d’un passé générationnel commun. Cependant, cette présence livresque rend plus pesante encore l’absence réelle du père et de la mère pour celui qui se définit avant tout comme un fils, en proie depuis des années à la dépression qu’il surnomme Arnold Schönberg. Les voyages entre l’Europe et les Etats-Unis où enseigne sa deuxième épouse, l’amour, la paternité ni le succès littéraire n’effacent son sentiment d’impuissance à vivre. Aussi emmène-t-il toujours ses parents dans ses bagages qu’il défait dans des chambres d’hôtel américaines où il aime séjourner. Si ses fantômes lui causent une sensation de perte irrémédiable, ils le conduisent aussi vers la joie proclamée du titre en l’ancrant dans une lignée familiale, une culture et une nation qui, s’il ne se prive pas de les critiquer, l’empêchent d’être aspiré par le néant. Comme chez Proust, les souvenirs sont des épiphanies ; l’auteur est doté du pouvoir de ressusciter les morts et de ressentir à nouveau des expériences enfuies en les hissant jusqu’au présent de l’écriture, ce temps de la vie où surgissent l’imprévu, la surprise et la gratitude. Plus rayonnant qu’« Ordesa », tout aussi riche et passionnant quant au regard de l’auteur sur son pays et sur la classe moyenne espagnole, « Alegria » est une réussite absolue, un roman par fragments qui accède à l’universel au moyen d’une réflexion généalogique particulière.

Aline Sirba

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