Corti, août 2023, 216 p., 21 €
Clio la bien nommée (muse de l’Histoire, fille de la mémoire) se lance dans la biographie de son grand-père Donato, homme taiseux dont elle ne sait presque rien malgré l’amour qui les unit. Elle possède bien des souvenirs d’enfance faits de goûters de taralli et de jus de poire, de légendes racontées et de bras aimants, mais « comment s’y prendre, quelle méthode heuristique, pour tenter de (re)trouver la réalité (le cœur, la densité) de celui qui l’a tue ? ». Donato vécut une jeunesse pauvre de journalier agricole dans les Pouilles. A partir de 1946, à la faveur d’un accord scellé entre la Belgique et l’Italie, il émigra à Charleroi où il devint mineur. Il y apprit le français, se maria et fonda une famille. Voilà pour les faits. Ce serait bien court si le récit ne se doublait d’une quête mnésique et d’une réflexion sur l’écriture. En effet, Clio lit, s’imprègne de témoignages, s’informe sur ces milliers d’immigrés européens venus remplacer les prisonniers allemands dans les mines belges. Surtout, elle assume de recomposer et d’imaginer : « il faut une petite-fille lacunaire pour restaurer un aïeul usagé ». Son écriture « volubile et onduleuse » tisse les paysages avec force correspondances et sensorialité, développe la phrase où la mémoire se déplie, où la matière se déploie, fourmillante de détails sur la nature, les sensations, les odeurs contadines, le soleil lumineux, puis par contraste le noir profond des entrailles charbonneuses, la peur au ventre lors des descentes dans les puits, et la poussière mortifère. L’amour, la volonté de ne pas trahir mais d’être juste et proche font de Clio la véritable mémoire de Donato, l’homme de peu auquel elle offre davantage qu’un cadre, un écrin de mots.
Aline Sirba