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“En salle”, Claire Baglin

Minuit, septembre 2022, 160 p., 16 €.

Claire Baglin inscrit son premier roman dans l’actualité d’une réflexion sur la nouvelle condition ouvrière précaire. « En salle » s’ouvre sur un entretien d’embauche : la narratrice étudiante postule pour un emploi dans un fastfood. Parallèlement, son récit alterne avec ses souvenirs d’enfance, comme la première fois où elle est entrée dans un restaurant de ce type. A l’époque, seules la magie et la nouveauté excitaient l’enfant, alors que ses parents, issus de la petite classe moyenne, trouvaient les menus aussi chers qu’incompréhensibles. Habituée des vacances d’été au camping, des activités organisées par le comité d’entreprise, la famille vit en économisant, tandis que le père s’épuise à mesure que ses conditions de travail se dégradent. Témoin de cette souffrance, Claire reproduit pourtant le même schéma ; elle doit être polyvalente et rapide : gestes répétitifs, paroles minimales. L’autonomie, la réflexion, l’identité n’ont aucune place puisque le travailleur est interchangeable, contraint par la précarisation des conditions de vie d’accepter tout type de corvée. Si la génération antérieure interagissait encore avec ses pairs, ici les ordres sont criés, les insultes proférées, parfois dans le vide. Plus grave encore, il y a une perte de la relation à soi : Claire est déshumanisée, elle n’est jamais appelée par son prénom. L’esprit vide, ses mains exécutent. Ce court mais dense roman, tout en soulignant l’incommunicabilité entre des individus de plus en plus seuls, contient une critique du travail comme un asservissement au service de la surconsommation de masse, ce que le sociologue américain George Ritzer appelait déjà en 1991 la « McDonaldisation de la société ».

Aline Sirba

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