L’Olivier, août 2023, 160 p., 17 €
Avec ce titre, Dea Liane met en lumière celle qui appartint à son enfance tout en restant dans l’ombre, qui fit partie de la maison tout en y étant étrangère. Georgette était la domestique syrienne de la famille syro-libanaise bourgeoise de l’autrice. Pendant plus de treize ans, au Liban, en Syrie et en France, elle s’occupa des enfants comme une seconde mère, tout en se chargeant des tâches ménagères. Dea et Georgette s’aimaient, or celle-ci était payée, et l’autrice devenue adulte peine à définir cette relation ambiguë. Deux fils narratifs s’entremêlent ici : les souvenirs d’enfance forcément partiels, subjectifs et nostalgiques, et le décryptage de vidéos d’anniversaires, de moments intimes, de fêtes ou de vacances réalisées par la mère pendant des années. Georgette y apparaît comme une assistante hors-champ, effacée du cadre familial ; on la devine parfois, à son insu, mais elle n’est jamais le sujet. Ces films démontrent le rapport social de classe entretenu avec l’employée de maison. Evidemment, Dea Liane n’avait aucune conscience de cette ambivalence, car Georgette, vivant au sein du foyer, connaissait tout de celui-ci, joies, querelles, etc. Ce portrait de femme puissante et omniprésente préserve pourtant sa part de mystère. Cependant, une chose reste tangible : la langue arabe transmise par Georgette, langue « maternelle », idiome du lien et du quotidien, quand le français sera la langue apprise, celle des livres et de la vie après Georgette. Cet enrichissement culturel a construit l’autrice, participé de son éducation, de sa sensibilité à la condition étrangère et prolétarienne, et de son ouverture à l’autre dont ce beau premier roman touchant est l’exemple le plus éclatant.
Aline Sirba