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« La Paix des ruches », Alice Rivaz

Zoé, novembre 2022, 144 p., 16 €

Le roman fut publié en 1947, autant dire qu’Alice Rivaz était avant-gardiste. Voici l’incipit : « Je crois que je n’aime plus mon mari ». Nous sommes à la veille de la Seconde Guerre mondiale, et alors que son époux effectue des missions militaires, Jeanne est employée dans un secrétariat. Elle songe secrètement au divorce, remplie de désillusions, jugeant l’amour et le mariage incompatibles. Fine observatrice, elle se sert de son expérience et des conversations avec ses collègues pour nourrir sa réflexion sur la relation entre les sexes. Seuls les hommes ont la prérogative de s’occuper de choses sérieuses (affaires, politique, argent, etc.) ; aux femmes sont abandonnés les futilités, les tâches silencieuses de la fourmi industrieuse, l’espace domestique. Elle-même prisonnière de ces règles sociales déplore que les femmes n’aient d’autre choix pour exister que de plaire.  

Dans un discours pétri de colère mais lucide, Jeanne accuse la domination masculine et la soumission des femmes, tout en percevant les dangers du bovarysme. Alice Rivaz se situe dans la lignée de Virginia Woolf lorsque l’héroïne se désole de ne pouvoir tenir son journal : la première des libertés serait la solitude d’un espace à soi. Par ailleurs, l’autrice dénonce par la voix de son personnage la charge des femmes qui, en rentrant de leur travail, enchaînent sans fin les tâches ménagères. Au fond, Jeanne est une héroïne de roman déçue par le mariage comme beaucoup avant elles, en recherche d’absolu ou à défaut d’équilibre dans son couple, mais c’est surtout une femme révoltée par les injustices faites à ses sœurs, victimes de leur condition. Pionnière du féminisme, exploratrice de l’intime et engagée, Alice Rivaz éveille l’esprit par sa plume acérée et sensible.  

Aline Sirba

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