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“L’Apparence du vivant”, Charlotte Bourlard

Inculte, janvier 2022, 132 p., 13,90 €

C’est l’histoire de deux femmes : l’une vieille, l’autre jeune, l’une riche, l’autre pauvre, la première ancienne directrice de funérarium versée dans la taxidermie, la seconde photographe amatrice. Cette dernière raconte son arrivée chez le couple Martin quelques années auparavant, alors qu’elle n’avait pas dix-huit ans et recherchait des modèles de vieillards nus. Chez les Martin, madame préside aux décisions sous le regard de monsieur. En échange de toute leur fortune, elle confie une mission d’envergure à la narratrice. Ici point d’euphémisme, on parle sans détour de la vieillesse, de la mort, de l’euthanasie : le corps vieux est laid, abîmé, décati, et souvent l’âme, sans considération d’âge, n’a guère plus de lustre. Madame Martin se charge de la formation de son élève, et pas seulement dans l’art de la taxidermie : « Je suis sa dame de compagnie et l’animal qu’elle s’amuse à dresser ». Machiavéliques et cyniques, défoncées au sirop médicinal, maniant le poison aussi bien que le scalpel, les deux héroïnes sont unies par leurs blessures respectives. Mais leur huis clos macabre est contrebalancé par des échappées belles, comme cette course éperdue de la photographe poussant sa patronne sanglée sur une brouette, et zigzaguant à travers un quartier liégeois en déshérence, squatté par les toxicomanes et hanté par les clochards, où l’on boit du péket à la régalade sur les berges du canal. Au-delà de cette folie en duo, l’autrice, sans jamais tomber dans un voyeurisme obscène, dit avec élégance et délicatesse la peur de la mort et la soif de tendresse au plus noir de la nuit, et le désir d’opposer la permanence à la perte de tout.  

Aline Sirba

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