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“L’autre moitié du monde”, Laurine Roux

Le Sonneur, janvier 2022, 256 p., 18 €

Les livres d’histoire sur la guerre d’Espagne ne réussissent pas toujours à démêler la complexité des faits et des enjeux intimes. C’est dans cet interstice que se glisse le roman, restituant les aspects d’une réalité insaisissable. Dans la Catalogne des années 1930, les métayers s’échinent au milieu des rizières du delta de l’Ebre appartenant au marquis Ibañez. Misérables, analphabètes, spoliés, les paysans sont soumis à l’aristocratie et à l’Eglise. Toya, l’héroïne adolescente, voit son père épuisé par le labeur, tout comme sa mère, cuisinière au château des Ibañez, à la merci des viols perpétrés par le fils de la maison. Dans ce recoin du pays où parvient l’écho des soulèvements populaires d’autres provinces, c’est le destin tragique des femmes qui met le feu aux poudres. A l’instigation d’un instituteur et d’un avocat exalté, les paysans expérimentent au cœur même de la révolte la collectivisation et l’union, avant qu’elle ne se fissure à cause des personnalités divergentes : les instruits et les politisés, ceux dont l’insurrection naît de la colère et de la frustration, mais aussi les opportunistes et les suiveurs. L’autrice raconte surtout les pulsions individuelles et les motivations personnelles à l’origine de la violence, d’où qu’elle vienne. Toya est doublement opprimée : prolétaire et femme, elle est issue de cette « moitié du monde » au corps nié, instrumentalisé, exploité à tous les étages, parfois par d’autres femmes. Dans tous les conflits, le corps féminin est un « champ de bataille », et Laurine Roux met en lumière ces femmes réduites à la honte et au silence, qui luttent pour leur émancipation sur trois générations traumatisées par la guerre civile.

Aline Sirba

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