0

« Le Testament des solitudes  », Emmelie Prophète

Mémoire d’encrier, 136 p., septembre 2022, 16 €

Depuis la parution de ce livre en 2007, Emmelie Prophète a beaucoup publié, promu les lettres, puis est devenue ministre de la culture en Haïti. Ce premier roman se situe en octobre 2001 à l’aéroport de Miami, où une femme attend son avion à destination de Port-au-Prince pour assister à l’enterrement de sa tante. On lit le monologue intérieur de ce personnage qui vit depuis vingt ans aux Etats-Unis et s’apprête à retourner dans son pays natal juste après les attentats du 11 septembre. Son île est indissociable des figures de sa mère et de ses tantes, ces deux dernières ayant aussi choisi l’exil. A travers leur histoire, la voyageuse endeuillée dénonce la condition féminine haïtienne : les trois sœurs sont « nées ici quand il ne fallait naître ni ici, ni femme » ; le souvenir est amer et la pensée déterminée : « je refuse votre héritage de corvées, de servitudes, de solitudes séculaires. Je refuse vos regards tristes, vos résignations, vos peurs ». Celle qui a passé son enfance cachée dans les livres a toujours rêvé d’ailleurs, comme nombre de ses compatriotes, conséquemment à la violence des militaires, aux coups d’Etat et à la pauvreté. L’Amérique a toujours été perçue comme un eldorado, même si la vie des immigrés y est aussi un combat. Si notre personnage porte son pays comme un fardeau héréditaire, elle éprouve paradoxalement une culpabilité et un manque de la maison familiale pourtant rejetée. Elle est dans l’entre-deux, à l’image de cet aéroport, lieu de passage et d’attente. La prose poétique de l’autrice exprime tout cela et parvient à neutraliser la solitude grâce à une parole qui sait si justement poser des mots sur les désirs secrets des femmes brisées.

Aline Sirba

We are using cookies to give you the best experience. You can find out more about which cookies we are using or switch them off in privacy settings.
AcceptPrivacy Settings

GDPR