Rouergue, mars 2022, 256 p., 20 €
Le roman d’Isabel Ascencio est une histoire de territoires et d’exils, une histoire d’indépendances et de trahisons. Pour Joëlle Leblanc, la mort de son père dans le Nord de la France marque le début d’une enquête mémorielle. Rapatrié au début de la guerre d’Algérie, Serge Leblanc, instructeur de judo, s’est d’abord installé au bord de la Méditerranée où il épouse Dominique Orsoni, institutrice d’origine corse. Avec leurs deux enfants, ils habitent plus de douze ans au Castoul, un village du Var, avant de se séparer en 1975. Joëlle se concentre en particulier sur les dernières années et les difficultés du couple, le retour de sa mère en Corse, et l’amitié envahissante de Michel Garrigou, petit commerçant en électroménager doublé d’un trafiquant sans vergogne. Malgré une vie un peu à l’étroit, Serge possède un terrain dans la garrigue, où quelques vignes à l’abandon et un cabanon suffisent à ses rêves de propriété tout en lui rappelant sa vie en Algérie. L’ancienne colonie est la faille qui travaille ce territoire provençal où Français d’Algérie, Algériens de France, anciens appelés du contingent lors de la guerre d’indépendance, cohabitent muettement avec leur mémoire à vif. L’intrigue est extrêmement bien menée ; l’autrice assemble les pièces du puzzle et organise savamment la narration pour préparer le terrain de la tragédie dont Serge Leblanc sera le bouc-émissaire, prisonnier d’une culpabilité aux racines anciennes. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : « d’où viennent les gens ? », telle est la question essentielle traversant le roman, avec les volontés d’émancipation qui en découlent et prennent parfois la forme d’un éloignement aussi libérateur qu’illusoire.
Aline Sirba