L’Olivier, janvier 2022, 272 p., 18 €
L’héroïne s’appelle Gabrielle, née prématurée, enfant asthmatique, objet de toutes les attentions. A l’autre bout de la chaîne il y a Maria, l’arrière-grand-mère adorée, républicaine espagnole exilée dans ce village des Pyrénées-Atlantiques où ses fils et leurs enfants ont bâti leur vie. Gabrielle est bonne élève, pratique la gymnastique rythmique et sportive, s’occupe de son frère cadet et accompagne ses grands-mères à la messe le dimanche. L’année de ses treize ans, Maria meurt, un séisme intérieur pour l’adolescente dont la santé psychique et physique se détraque imperceptiblement, rongée par un secret que le mensonge couvre mal. La narration non chronologique établit un parallèle entre l’éclosion du corps jeune et le déclin de celui qui vieillit. Désiré, fragile ou nié, le corps se dévoile ici comme lieu de la dépendance et de l’autonomie. Dans ce monde semi-rural, le soin est toujours dévolu aux femmes qui s’occupent des enfants tout en veillant au quotidien des parents âgés. Des générations se sacrifient, malmenées par le patriarcat ou le corps médical, traditionnellement tenues de se dévouer sans autre armure que l’endurcissement, à l’instar de Gabrielle qui pense que seule la volonté peut tenir la souffrance à distance : un déni mortifère. Les relations entre individus sont ainsi entrelacées de tendresse et de devoir, de culpabilité et de velléités d’indépendance. S’extraire du cadre familial est encore difficile, parfois tacitement interdit sous prétexte d’amour et de protection. Mais qui protège qui ? Qui aime comment ? Laurine Thizy mène son roman tambour battant, élargi à une famille banale au sein de laquelle l’héroïne trébuche sur sa propre voie.
Aline Sirba