L’Olivier, août 2021, 256 p., 19 €
Une femme remonte le fil de sa vie ordinaire : son enfance musicale qui prend fin avec une grave maladie, son adolescence de jeune amoureuse d’un garçon qui n’a d’yeux que pour une autre, puis ses études de droit, la rencontre de son futur mari, deux enfants, un travail d’avocate fiscaliste, et la bifurcation vers une licence de musicologie, une séparation ; en somme rien de plus banal. Ce qui l’est moins, ce sont les apparitions fugaces d’Etienne, un garçon issu des tréfonds de l’enfance de l’héroïne qui surgit à des étapes charnières de son existence. En maternelle, il lui avait déclaré son amour qu’elle avait dédaigné, or l’anecdote est ancrée en son for intérieur comme originelle. Plus tard, alors même qu’il ne se souvient pas de son nom, elle est là pour écouter, absorbée et fascinée, le récit de sa vie « tumultueuse » et « tragique », à l’opposé de sa propre normalité désolante. L’auteure parle ici de la mémoire qui constitue les individus mais les trompe aussi parfois, le sujet différant de ses souvenirs. Prisonnier de ces derniers, comment agir au présent ? A l’inverse, en être privé comme l’un des personnages du livre, un célèbre chef d’orchestre, c’est être condamné dans un ici et maintenant éternel, sans passé ni avenir. Entre les deux, il y a la conscience du passage du temps et de la finitude, et tout l’enjeu est de tracer un parcours unique en usant de son libre-arbitre, ni par défaut ni par inertie. Ce roman évoque avec une mélancolie légère les chemins non empruntés, les espaces inexplorés, tandis que la musique et les arts, tout en éclairant d’une lumière nouvelle les réminiscences que l’on charrie, rendent possible et extraordinaire l’expérience du présent sensible.
Aline Sirba