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« Mississippi », Sophie G. Lucas

La Contre allée, août 2023, 192 p., 18 €

Sophie G. Lucas publie un premier roman superbe empreint de la poésie et de la force qui caractérisent ses textes précédents. Sous-titré « La Geste des Ordinaires », il raconte une lignée familiale en des portraits saisis à des moments-clés, hommes et femmes liés, tenus ensemble par leurs racines généalogiques. Le premier, Alexis Lansard, revient d’Amérique en 1839 non en héros, mais inconnu des registres d’état civil, et doit se démener pour faire rectifier l’erreur afin de pouvoir épouser Françoise Lumière. Cette inscription officielle est un des enjeux du roman : si ce n’est pas écrit, cela n’existe pas. Voilà tout le malheur des humbles, des « vies minuscules » selon la formule de Pierre Michon ; combien d’existences oubliées, enterrées, parce que non racontées, non transmises ou non fixées ? Et que dire des orphelins, des enfants illégitimes, bâtards porteurs de ce stigmate maudit qui inventent leur vie, condamnés pour être à la réussite, comme le photographe Antoine Lumière, père d’Auguste et de Louis auxquels on doit cette autre machine à histoires qu’est le cinéma. Les femmes ne sont pas en reste qui, par leur condition même, sont invisibles et subissent plus qu’elles ne décident, même si au fil du temps certaines prennent leur destin en main, telle Marthe, fille-mère rebelle, ou Odessa, qui entreprend un retour aux sources en allant voir de l’autre côté de l’Atlantique si ses ancêtres y sont. La romancière, qui traite merveilleusement de la création de soi, possède un style magnétique, multiplie les registres et les discours, mêle intime et politique, réflexion sociale et lyrisme, géographie et histoire, pour faire de ces « ordinaires » les héros de leur vie.

Aline Sirba

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