Quidam, août 2023, 172 p., 19 €
Le nouveau roman au titre énigmatique de Caroline Deyns est structuré en deux parties. Un récit-cadre met en scène une femme condamnée à cinq ans de prison après une interruption spontanée de grossesse, dans une société où avortement et fausse couche confondus sont jugés comme des crimes. Depuis sa cellule, désespérée, elle tente de ne pas sombrer dans la folie face à l’injustice d’une loi patriarcale qui contrôle le corps des femmes, et se souvient d’une histoire transmise par ses ascendantes, qu’elle-même avait apprise par cœur suite à une expurgation des bibliothèques. Commence alors le récit enchâssé, fait de secrets et de luttes féminines. Les héroïnes y sont appelées GrandeEnfant, PetiteSœur, Mère, Collègue, Intermédiaire, Faiseuse, MaîtreAvocate, MadameLaMinistre… elles constituaient une chaîne de solidarité féminine qui s’était employée à tirer de la détresse une lycéenne enceinte suite à un viol. On reconnaît l’épisode réel fondamental du procès de Bobigny qui se tint en 1972, prélude à la dépénalisation de l’avortement. Tout est raconté avec fidélité, sans atténuation ni euphémisation des actes et des paroles ; on lit « loi coupable », on lit aussi et surtout « s’appartenir », enjeu crucial intime et universel pour notre prisonnière et toutes ses sœurs. Utilisant parfois le calligramme, l’autrice dessine les murs de la prison comme s’ils respiraient, étrécis par la peur, élargis par les mots qui, une fois écrits et murmurés, s’envolent pour se nicher dans d’autres esprits, s’agréger à d’autres histoires et soutenir la révolte. Voilà un beau roman politique, celui d’une mémoire et d’une veille indispensables contre l’éventualité d’un revirement des lois tel qu’il se produit parfois.
Aline Sirba