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« Quand tu écouteras cette chanson », Lola Lafon

Stock, août 2022, 256 p., 19,50 €

Pour la collection « Ma nuit au musée », Lola Lafon s’est rendue à l’été 2021 au musée Anne Frank à Amsterdam, dans l’Annexe, cet espace secret où huit personnes, dont la famille Frank, ont passé plus de deux ans cachés, avant d’être découverts par la Gestapo puis déportés. L’autrice n’aura la force d’entrer dans la chambre d’Anne Frank qu’au petit matin, où elle convoque le souvenir d’enfance d’un ami cambodgien, un autre adolescent pour l’éternité, victime du régime khmer rouge. Ce récit dense explore les thèmes de la mémoire, de l’absence et de la présence, du passé et du présent, de la relation entre les vivants et les morts, entre les exilés et leurs origines. Comme tous les descendants de déportés, Lola Lafon elle-même a hérité du fardeau du silence et de l’injonction de la vie à tout prix. Tout aussi passionnant, cette expérience l’amène à interroger l’acte d’écrire, rendant au « Journal » d’Anne Frank sa valeur littéraire, après le malentendu de sa réception posthume. En effet, le public considère généralement ce livre comme le témoignage d’une victime du nazisme, voire un exemple de résistance et d’espoir, en ignorant qu’il s’agit d’une véritable œuvre de création littéraire, celle d’une autrice qui le destinait à la publication, et dont les brouillons témoignent du travail sur la construction, des réécritures et des coupes opérées. C’est bien dans les mots, davantage que dans une chambre vide, que se trouve Anne Frank, qui n’aura eu de cesse qu’elle se hissât au-dessus de sa condition de Juive persécutée. Ce récit juste d’une beauté bouleversante sonde le rapport à l’écrit, façon pour Lola Lafon d’« attraper le réel » sans gommer ses aspérités ni dissimuler ses failles.

Aline Sirba

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