0

« Tenir sa langue », Polina Panassenko

L’Olivier, août 2022, 192 p., 18 €

Le roman de Polina Panassenko débute comme une mésaventure kafkaïenne et se poursuit comme une quête de soi. L’autrice d’origine russe s’aperçoit à l’occasion d’une démarche administrative que lorsqu’elle obtint sa naturalisation française à l’adolescence, elle perdit aussi le droit de s’appeler de son vrai prénom francisé en Pauline. Le soupçon qui pèse sur l’idiome entraîne une recherche des origines. Arrivée en France en 1993, Polina apprit la langue principalement grâce à l’école et à la télévision. Elle se souvient des moqueries à la maternelle, du désespoir de ne rien comprendre ou si peu, et puis des vacances d’été à la datcha où son grand-père lui enjoignait deux choses : préférer son pays de naissance et ne jamais mentionner son émigration devant quiconque. Avoir honte d’être française en Russie et d’être russe en France, voilà de quoi devenir schizophrène ! On parle ici d’histoire de la Russie au 20e siècle, du judaïsme étouffé par sa grand-mère paternelle, et de géographie fantasmée : depuis Moscou, la France ne correspond pas à la banlieue stéphanoise où la famille s’installe. Les questions d’identité recoupent le sujet de la langue ; celle dite maternelle est supplée par celle du pays d’exil, quand bien même on continue de parler russe à la maison. Et parmi les souvenirs d’enfance, il y a les vieilles chansons écoutées avec son grand-père, mais aussi la première « raklète » savourée chez des voisins accueillants. Cette frontière entre public et privé est bien sûr mouvante : parler deux langues, c’est vivre entre deux cultures. Avec bonheur, l’autrice invente une troisième voie/voix : l’imagination romanesque, à même de réconcilier les mondes avec humour, fantaisie et émotion.  

Aline Sirba

We are using cookies to give you the best experience. You can find out more about which cookies we are using or switch them off in privacy settings.
AcceptPrivacy Settings

GDPR