S’intéressant à la photo dans plusieurs de ses livres, l’autrice Anne Savelli a choisi le sujet le plus photographié peut-être de l’histoire du cinéma : Marilyn Monroe. A travers ce livre passionnant, elle retrace la vie de l’icône blonde en nous entraînant dans une exposition virtuelle, entre fascination et réflexion.
1. Etiez-vous fascinée depuis longtemps par Marilyn Monroe ? Si oui, qu’est-ce qui vous fascinait et/ou vous fascine toujours ?
Je l’ai été à l’adolescence, oui, période durant laquelle j’ai collectionné les photographies que je trouvais d’elle, que ce soit dans les journaux, reproduites sur cartes postales ou même, dans une boutique qui existait alors à Paris et lui était entièrement dédiée. Avec mon argent de poche, j’achetais une ou deux photos après avoir longuement réfléchi – il fallait faire des choix drastiques, à cause du prix. Je ne m’intéressais pas aux gadgets de la boutique, uniquement aux photos et aux livres. Je crois que j’étais fascinée par la profusion potentielle de ces images, dont on ne fait jamais le tour. J’en découvre encore aujourd’hui.
Je ne saurais trop dire si j’ai entamé cette collection parce que je n’arrivais quasiment pas à voir ses films, qui passaient très peu à la télévision (et toujours en VF, avec un doublage atroce !) ou si c’était vraiment l’image, en soi, qui me fascinait – sans doute. En tout cas, je crois que ce désir de collection était assez partagé par les filles de mon âge, même si je n’en connaissais pas d’autre, à l’époque.
Je ne suis pas devenue une vraie collectionneuse. J’ai abandonné ma collection à 18 ans pour ne plus y toucher. Mais les collectionneurs, par moments, me fascinent : tout désirer d’un même objet, pour moi, c’est une façon de refuser l’inéluctable.
2. Il y a pléthore de livres sur Marilyn Monroe : comment vous est venue l’idée d’ajouter une publication à celles déjà existantes ? Est-ce que c’était prendre un risque (de répétition, d’ajouter au trop-plein) ?
L’idée est venue après avoir écrit « Décor Daguerre », un livre qui s’empare de l’œuvre d’une autre, en l’occurrence Agnès Varda, pour l’amener vers soi. Il ne s’agissait pas, alors, d’écrire une biographie, mais d’épuiser les arrière-plans d’un de ses films, « Daguerréotypes », qui date de 1975, pour tenter de retrouver, par l’écriture, les éléments d’une époque. De détourner à mon profit les objets, les papiers peints, les vêtements, les coiffures des commerçants filmés par Varda pour dire, en creux, quelque chose de mon enfance.
Après ce livre, la question m’a été posée de savoir si je n’aurais pas envie d’écrire, de façon plus directe, un livre sur la vie d’une personne célèbre. J’ai immédiatement pensé à Marilyn Monroe et à la photographie parce que je connaissais bien le sujet, sans le maîtriser complètement (après l’âge de 18 ans, sans lire tout ce qui paraissait, je continuais à m’informer, de loin en loin).
Je n’ai pas pensé d’abord à Marilyn, puis à la photographie. J’ai vraiment pensé les deux termes en même temps. Je n’aurais pas écrit un livre sur Marilyn Monroe en prenant un autre angle, je crois. Par contre, j’étais persuadée que c’était déjà fait. C’est après avoir cherché minutieusement que je me suis aperçue que non. On trouvait des biographies, des livres de photos et des livres de photographes, bien sûr, mais aucun ouvrage qui prenne en compte cette unique question.
Ensuite, j’ai relu « Blonde ». Je me suis demandé si j’allais me sentir écrasée. Comme je supposais, « savais » déjà que mon livre serait différent de celui de Joyce Carol Oates, je me suis lancée.
Évidemment, il y avait ce risque de répétition, par rapport aux dizaines, aux centaines de livres existants. Mais justement, c’était excitant : était-il possible de renouveler le genre ?
Je partais d’une base assez solide : les informations que je découvrais sur les photographes et dont il n’était question, ailleurs, que de façon épisodique. Mais ce n’est qu’en cours d’écriture que j’ai réalisé le fait suivant : grâce à l’évocation photographique, il était possible de raconter la vie de Marilyn Monroe, de s’inscrire dans le genre biographique, en faisant passer au second plan, voire en évacuant, les principaux thèmes abordés dans les autres livres : sa carrière cinématographique, sa vie privée et sa mort.
3. Pourquoi Marilyn à travers le prisme de la photographie, cet art est-il un bon support de fiction d’après vous ? Sur quels critères avez-vous sélectionné les photos ? Le choix a-t-il été facile ?
On peut, sans risque de se tromper, dire que Marilyn a été une des femmes les plus photographiées du XXe siècle. Par ailleurs, la séance photo était pour elle, semblerait-il, le lieu par excellence de l’épanouissement ; l’endroit où, enfin, elle maîtrisait ce qui lui arrivait, où elle prenait le contrôle – c’est ce qu’ont dit tous les photographes. Il y avait donc, déjà, une matière énorme. Du reste, j’avais l’envie d’écrire un gros livre (« Musée Marilyn » est en effet le livre le plus volumineux que j’ai écrit jusqu’ici). J’ai donc su assez vite que j’allais sélectionner un grand nombre de séances.
La difficulté, c’était de ne pas se répéter tout en reprenant quand même certains motifs, les photos en maillot de bain, par exemple. Il fallait qu’on sente le besoin de retourner se faire photographier quand la carrière cinématographique patine, l’obligation de répéter les mêmes poses, les mêmes scènes, alors qu’on aimerait sans doute passer à autre chose – ce n’est pas antinomique avec ce que j’ai dit plus haut. Je n’ai pas été complètement exhaustive, mais j’ai quand même voulu aller chercher de tous les côtés : photos publicitaires, de pin-up, de tournage, d’amateurs, photos volées, de reportage, d’art, etc.
Quant à la question de la fiction, elle s’est posée tout de suite. Je croise toujours les genres littéraires à l’intérieur de mes livres (fiction, poésie, autobiographie, biographie…) et, à force, je finis par penser que cela me correspond. Ici, je ne voulais pas écrire un essai, une biographie au sens strict. Je ne voulais pas « faire de discours », dire au lecteur, à la lectrice, ce qu’ils devaient penser du sujet. J’ai donc délégué ce rôle à un professionnel : un guide de musée. Mais il me fallait une seconde voix pour contrebalancer ce qu’il avait à dire (et qu’il était essentiel de faire passer). C’est ainsi qu’est arrivée la voix d’un personnage non genré : le spectateur ou la spectatrice qui suit la visite guidée.
La fiction m’a permis autre chose. Je pense que j’ai véritablement écrit un livre sur Marilyn Monroe, que Marilyn a été mon sujet et non un prétexte. Cependant, dans mon esprit, « Musée Marilyn » est également, d’une part, un livre sur les photographes qui ont compté dans sa vie mais aussi, plus généralement, un livre sur l’exposition, sur le fait d’exposer quelque chose (visuellement ou par le discours) et/ou de s’exposer soi-même. Ce n’est pas pour rien qu’il est interdit, à l’entrée, de conserver ses appareils connectés, dont les appareils-photo.
4. Avez-vous pensé à poursuivre l’aventure de ce livre avec une sorte de catalogue d’exposition virtuel ? En tant que lecteur, on a envie d’aller revoir les photos que vous décrivez dans le livre, il y a toujours un va-et-vient entre le texte et la photo, une attraction mystérieuse.
Avant de vous répondre, je commence par ceci, qui me vient tout de suite à l’esprit : il se trouve que l’écrivain Thierry Beinstingel, sur son site, vient de faire avec humour un appel aux mécènes pour créer le musée de mon livre. Ce serait difficile, car dans mon texte, on ne sait jamais si on se trouve devant ou à l’intérieur des photos. En réalité, où est-on ? Dans un musée, une galerie d’art contemporain, un parc d’attraction, une fête foraine ? Dans mon esprit, l’espace d’exposition que je décris est un lieu de métamorphoses. Depuis toujours, je suis très attachée à la question du lieu, que je pensais avoir évacuée avec ce livre mais qui, pourtant, demeure.
Pendant que j’écrivais, j’ai visité deux grandes expositions de photos sur Marilyn Monroe, l’une à Aix-en-Provence, à l’hôtel de Caumont (qui portait exactement sur mon sujet, alors que j’avais déjà entamé le travail depuis un an), l’autre à Paris. J’ai eu peur d’être phagocytée, en allant les voir, et puis non.
J’en viens maintenant à votre question : à vrai dire, non, je n’ai jamais pensé créer un catalogue virtuel qui accompagnerait la sortie de mon livre – j’ai pourtant souvent ajouté du contenu en ligne à mes livres imprimés. Dès le début, en effet, j’étais sûre d’une chose : je ne voulais pas de photos dans mon livre. Je voulais que le lecteur, la lectrice, aient le choix d’aller les chercher ou non. Tout l’intérêt, pour moi, maintenant, est de découvrir le rapport qu’ils et elles entretiennent avec l’image pendant leur lecture : certains l’arrêtent pour regarder les photos dont je parle sur Internet, d’autres abandonnent cette recherche pour aller au bout du livre, d’autres encore s’en tiennent à leur mémoire des photos. C’est passionnant de le savoir : cela dit quelque chose de l’acte de lire, en général. Je suis très contente quand ils et elles me le précisent, me font part de leur « expérience » du livre.
5. Est-ce difficile de trouver un autre sujet de création après avoir vécu sept ans avec Marilyn Monroe ?
En réalité, je n’ai pas passé sept ans à écrire ce livre, mais trois, de façon très intense. Cette intensité, couplée à la difficulté, une fois le manuscrit terminé, de faire comprendre la particularité de ce travail (« encore un livre sur Marilyn » ont dû se dire certains, sans aller plus loin), m’ont rendue malade durant trois années, années que j’ai incluses avec un peu de malice dans les « sept ans de réflexion » qu’a duré « Musée Marilyn »,comme je le dis à la fin de l’ouvrage, en y ajoutant l’année et demi d’attente de la parution, une fois le contrat signé avec Inculte. Car pour moi, en dehors du clin d’œil au film de Billy Wilder, la maladie et l’attente sont constitutives du livre tel qu’il se présente aujourd’hui, même si le manuscrit d’origine n’a pas changé et qu’ainsi rien, dans le texte, n’en porte la marque (je n’ai jamais pensé raccourcir le livre pour avoir une chance de le vendre mieux, par exemple). Au passage, j’en profite pour remercier immensément Claro (éditeur chez Inculte), qui a tout de suite compris ce que j’avais voulu faire.
Durant ces années, de 2018 à aujourd’hui, tout en attendant de retrouver l’énergie de « porter » « Musée Marilyn », j’ai écrit d’autres livres : « Saint-Germain-en-Laye », qui est paru aux éditions de l’Attente en 2019, « Des oloés, espaces élastiques où lire où écrire », reparu en version augmentée en 2020 chez publie.net, ou encore « Lisières limites », un texte à deux voix avec Joachim Séné soutenu par notre collectif, L’aiR Nu, et l’Université Gustave Eiffel de Marne-la-Vallée. Ce dernier s’intéresse à quelque chose qui n’a vraiment rien à voir avec Marilyn : la construction d’un écoquartier ! Trois textes sur la ville, le lieu (oloé est un acronyme pour dire : où lire où écrire), sont donc parus pendant cette période. Sans parler du roman sur le bruit qui me hante depuis des années, que j’ai continué à écrire et auquel je vais me ré-attaquer très bientôt, « Bruits », tout en essayant de faire vivre une version web légèrement animée et sonore du texte, suivie par une vingtaine de lecteurs testeurs.
En fait (et pardon pour cette réponse un peu longue), j’ai systématiquement une petite dizaine d’année «d’avance » sur ce que j’écris. Je veux dire par là que j’ai toujours cinq à six (voire sept, huit, dix…) projets d’écriture en cours. Certains donneront des livres très minces, d’autres très volumineux. À certains moments, en fonction de mes désirs comme des nécessités matérielles (c’est important de le dire, aussi : la vie des livres vient également de là), je privilégie l’un ou l’autre de mes projets – même si « Bruits » est, d’évidence, le plus important.
6. Question posée à tous les auteurs : avez-vous une routine d’écriture ?
Si cela peut rassurer ceux qui aimeraient écrire ou ont encore peu de pratique, je pense pouvoir dire qu’à partir du moment où je ne suis pas systématiquement, et quotidiennement, immergée dans le livre en cours, j’ai toujours peur de m’y remettre et commence (peut-être pour désacraliser le moment, je ne sais pas) par taper des phrases que je trouve stupides et mal écrites. Je m’énerve, je m’agace, mais depuis le temps, ça ne me déroute plus. Je reprends le paragraphe, je rentre à l’intérieur, le dynamite… J’aime cette bataille avec les phrases.
Ensuite, quelle parade trouver pour contrer cette peur de s’y remettre ? Eh bien, par exemple, l’épuiser dans un journal, un carnet qu’on ne fera pas lire. Le plus important, pour moi, quand j’écris, c’est de couper avec l’extérieur, les messageries, réseaux, les obligations professionnelles, etc. Cela paraît évident, mais comme Internet est d’une immense utilité (la documentation vient en tête tout de suite, mais je me sers également des outils numériques pour réfléchir à la lecture et à l’écriture de mon livre sur le bruit, par exemple, en créant un méta-livre à côté du livre lui-même), ce n’est pas toujours évident de ne pas se laisser parasiter. J’aime beaucoup dériver, et c’est ainsi que j’écris, en créant des arborescences. Mais ce n’est pas la même chose que de s’exposer.
Propos recueillis par Aline Sirba