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Camille FROIDEVAUX-METTERIE

Le premier roman de Camille Froidevaux-Metterie, autrice du « Corps des femmes. La bataille de l’intime » (2018), de « Seins. En quête d’une libération » (2020) et de « Un corps à soi » (2021), fait écho à ses travaux de recherche en philosophie. Dans un dispositif choral, elle fait parler des personnages féminins liés entre eux comme dans une course de relais sororale.

1. Qu’est-ce qui vous a poussé vers le roman, vous, philosophe et essayiste ?

Cela remonte à la première version de mon essai « Un corps à soi » (Seuil, 2021) : j’avais imaginé d’ouvrir chacun des chapitres par un texte de fiction portant le prénom d’une femme qui illustrait le thème corporel que je développais ensuite de façon théorique. J’ai finalement décidé de ne plus enfouir dans un essai ce désir de fiction que j’avais en moi depuis longtemps. J’ai donc extrait ces femmes du livre et leur ai ouvert un espace propre en les réunissant dans une constellation féminine qui a dessiné les premiers contours du roman.

2. Vous avez choisi la forme chorale. Est-ce que cette forme propice à l’introspection était la plus pertinente pour parler de l’intime ?

Plus que la dimension chorale, c’est la première personne qui me paraît importante. Dès le départ, j’ai voulu que chacune de ces filles et femmes s’exprime en disant « je ». Dans mes essais déjà, je croise « ma » première personne avec celle de femmes que je rencontre pour tisser une trame d’expériences vécues. Ici, je cherchais à être au plus près de leurs méditations intimes, pour que toutes ces voix singulières résonnent ensemble et forment un chant choral. On entend un même refrain, celui de l’émancipation du corps des femmes, mais les couplets sont très différents, consacrés aux thématiques corporelles que j’explore grâce aux personnages.

3. La figure maternelle est centrale dans votre roman où il y a plusieurs mères. Est-ce que la libération des relations toxiques entre les hommes et les femmes passe en priorité par la mère ?

C’est la question de l’évolution, voire de la révolution, de la façon d’être mère qui est au cœur du livre. Il y a un personnage de mère toxique et malveillante, et puis ses filles qui essaient de déployer une maternité différente, sans doute pour réparer ce qu’elles ont subi de toxicité maternelle. Un des propos du livre est de montrer que nous sommes dans un moment de nécessaire réinvention des relations mères/filles, et sans doute aussi des relations mères/fils (qui est un sujet à part entière). C’est la possibilité d’une réconciliation mères/filles et d’un dialogue retrouvé qu’il m’importait de creuser.

4. Un de vos personnages, Colette, une femme âgée, vit dans une communauté autarcique féminine, en paix avec elle-même. Est-ce la meilleure des sociétés, cultiver ainsi son jardin ?

Certaines féministes pensent qu’il faut se passer des hommes et vivre sans eux, je suis convaincue quant à moi de la nécessité de leur présence dans nos vies et dans nos combats. Comment transformer les relations femmes/hommes, redéfinir la vie amoureuse et sexuelle au prisme du consentement et lutter contre les violences sans les hommes ? Mais il se trouve que la non-mixité s’impose d’elle-même pour les femmes âgées, parce que la structuration de la pyramide des âges fait qu’elles perdent leur conjoint plus tôt et se retrouvent seules. Depuis que j’ai découvert ce mode de vie dans un article qui parlait de la résidence des Babayagas à Montreuil (réservée aux femmes de plus de 60 ans), je me suis dit que c’était ainsi que je voulais vieillir ! Il y a quelque chose de si beau dans ce projet de vie communautaire entre femmes, même s’il ne faut pas faire d’angélisme, car il y a aussi des tiraillements et des conflits. Ce modèle de société féminine est pour moi comme un idéal de sororité, car il est tout le contraire de la rivalité intra-féminine qu’entretient le système patriarcal. Il renvoie aussi à l’écoféminisme ; il y a dans cette communauté l’idée d’un « faire partie ensemble » du même monde, de la même terre. Le personnage de Colette est aussi important en ce qu’il illustre la nécessité de renouer le fil entre les générations de femmes, entre les féministes d’hier et celles d’aujourd’hui, il faut continuer de discuter entre nous malgré nos divergences.

5. Avez-vous des autrices modèles et des figures romanesques qui vous inspirent ?

Je lis beaucoup de romans, depuis toujours, cela fait partie de mon quotidien. Lorsque je suis entrée en féminisme, je me suis mise à lire de plus en plus d’autrices, et de plus en plus d’autrices féministes. Mais, pour mon roman, j’étais très soucieuse de ne pas tomber dans le militantisme ou la démonstration féministe. Mon sujet, c’est la vie des femmes contemporaines. D’un point de vue strictement littéraire, mon modèle absolu est Virginia Woolf, qui est d’une modernité inouïe, et que je lis et relis. J’aime aussi beaucoup Sylvia Plath, Nelly Arcan, Emmanuelle Bayamack-Tam, Chloé Delaume, tant d’autres encore. Ce qui me touche, ce sont les autrices qui sont dans l’ouverture des registres d’écriture, comme Simone de Beauvoir, qui a écrit aussi bien des romans que de la philosophie. Quand on s’intéresse à la condition des femmes, il faut je crois élargir au maximum les modalités d’exploration et de représentation, c’est ce que je me suis efforcée de faire. 

6. Avez-vous une routine d’écriture ?

Elle s’est imposée à moi. Je suis professeure d’université, je dois préparer mes cours, j’écris des essais. Le seul moment où je peux écrire tranquillement dans un registre littéraire, c’est le matin, entre 8h et 10h, je dois ensuite passer au reste. Ce roman, c’est donc la première chose que je faisais dans ma journée, dans ce moment suspendu où l’esprit est encore entre les rêves et la réalité. Une fois la première version terminée, j’ai eu besoin de plages plus longues pour relire et réécrire, ce que j’ai fait durant les vacances scolaires donc. La phase de réécriture est celle que je préfère, même pour mes essais. En ce qui concerne ce roman, j’ai mis du temps à me libérer complètement, il m’a fallu cesser de « réfléchir » à ce que j’écrivais, m’affranchir d’une écriture démonstrative. Il y a eu un moment précis, à la fin d’un été d’écriture, où j’ai senti que je me libérais, que je lâchais cette écriture un peu trop contrôlée. Je l’ai senti concrètement, dans mon corps, et j’ai été submergée de joie. J’étais dans une forme d’exaltation parce que j’avais découvert une liberté d’écriture nouvelle, pleinement romanesque. Je me laissais enfin emporter par mes personnages, j’allais sur des terrains que je n’avais pas imaginés, quelque chose s’était enclenché qui m’a conduite au bout du roman, où j’ai autorisé l’inattendu à survenir.

Propos recueillis par Aline Sirba

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