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Polina PANASSENKO

Dans un roman à la fois léger et mélancolique, drôle et grave, la romancière Polina Panassenko nous parle de son rapport à la langue russe, sa langue maternelle, et de son rapport au français, sa langue d’adoption. Elle fait voler en éclats ces distinctions pour faire coïncider son identité et son prénom, sa vie et ses pays.

1. Pour votre premier roman, vous avez choisi l’autofiction ; est-ce que cette forme s’est imposée naturellement ?

Je n’ai jamais vraiment considéré la possibilité que ce texte soit autre chose qu’une fiction. Je crois qu’on peut écrire des fictions plus vraies que le réel. Pour que leur vérité apparaisse, il faut la construire, la composer.  

2. Polina est-elle une personne différente de Pauline ? Qu’est-ce qui a changé (pour vous, dans votre rapport aux autres, au monde) avec le prénom autorisé officiellement ?

La narratrice du roman est une petite fille à laquelle on demande de bien séparer la langue du dedans – le russe qu’elle parle à la maison – de la langue du dehors : le français qu’elle parle à l’école. Telle une transcription onomastique de cet écartèlement, elle s’appelle Polina à la maison et Pauline à l’école. Écrire les allers-retours de cette petite fille entre le dedans et le dehors était précisément une façon de s’intéresser à ce qui change ou non lors du passage d’une langue à une autre et la façon dont ce passage affecte un corps.

Pour la narratrice, les enjeux de l’autorisation officielle de porter son prénom de naissance apparaissent en partie dans la lettre qu’elle adresse à la Procureure. Elle est la descendante d’une famille dont les générations précédentes ont connu des émigrations successives suivies de changements de nom. Aussi, pouvoir porter son nom sans crainte dans le pays où l’on vit est une sorte de Terre promise.

3. Est-ce que ce roman et la quête que vous y menez ont élargi le sens de l’expression « langue maternelle » ? Avez-vous pensé à écrire en russe ?

Ce roman s’intéresse à la zone grise qui se situe entre la langue maternelle et la langue étrangère. À quel

moment une langue étrangère cesse d’être étrangère ? Est-ce que cette langue devient maternelle pour autant ? Cette zone remet en cause l’idée d’une dualité linguistique qui nous forcerait à choisir une langue ou une autre et propose l’endroit de l’entre-langue comme lieu d’habitation.

Des parties de ce roman ont été écrites en russe puis traduites en français. D’autres ont été écrites en français puis traduites en russe puis retraduites en français. Ces étapes successives ont servi à la fois de tamis et de mise à l’épreuve de la structure.

4. « Tenir sa langue », c’est ne pas dévoiler un secret, ne pas divulguer certaines informations. Est-ce que votre double identité était une sorte de secret que vous revendiquez ici haut et fort au lieu de la taire ? Par ailleurs, on peut aussi entendre dans l’expression « tenir sa langue » bien parler, en un sens tenir son rang, se tenir droit, bien se tenir, droit dans sa langue.

Je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir une double identité. Il me semble que cette dualité correspond plutôt à une perception venue de l’extérieur. Une dualité qu’on opposerait à l’idée d’un unique qui selon moi n’existe pas.

La narratrice du roman parle le russe, le français et ce qu’on pourrait appeler l’entre-langue. Elle est traversée par des mots hybrides nés de mélanges de langues et de structures grammaticales différentes. “Tenir sa langue” peut être entendu au sens de faire exister à l’écrit cette langue que ni le français, ni le russe ne veulent reconnaître. Tenir son rang de langue bâtarde.

5. Y a-t-il des auteurs qui ont vous ont inspirée ? Par exemple Georges-Arthur Goldschmidt, avec « Le poing dans la bouche » et la difficulté de s’exprimer en allemand, la langue du nazisme, ou encore Nathalie Sarraute avec « Enfance », roman de l’enfant déchirée entre deux parents, deux pays, deux langues (le russe et le français).

Plusieurs livres de Georges-Arthur Goldschmidt ont accompagné l’écriture de ce texte. Ceux que j’ai le plus consultés sont « L’exil et le rebond » et « À l’insu de Babel ». J’ai aussi relu plusieurs fois « Au lieu du péril » de Luba Jurgenson ou encore « quant à je (Kantaje) » de Kati Molnar.

6. Avez-vous une routine d’écrivain ?

Tous mes textes passent par l’étape de la lecture à voix haute. J’ai besoin d’entendre le son des mots et des phrases pour savoir si elles me conviennent ou non. Je ne sais pas si l’on peut considérer ça comme une routine mais je travaille souvent dans les transports en commun. Je relis mes textes dans le train, le bus, le métro. Pour une raison que j’ignore, le fait d’être dans un moyen de locomotion en mouvement, au milieu d’autres passagers, m’aide à entendre ce que je n’entendais pas à ma table.

Propos recueillis par Aline Sirba

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