Traduit de l’anglais (Irlande) par Clément Baude, 10/18, novembre 2022, 648 p., 10,50 €
Un apeirogon est une figure géométrique au nombre infini de facettes dont Colum McCann s’inspire pour la composition de son magnifique roman. Une mosaïque de mille et un fragments narre la tragédie vécue par deux hommes, Rami l’Israélien et Bassam le Palestinien : l’assassinat de leur fille, victimes innocentes du conflit israélo-palestinien. Smadar est morte à quatorze ans dans un attentat suicide à Jérusalem en 1997. Abir, dix ans, périt en 2007, victime du tir d’un soldat israélien à proximité de son école. Depuis, les deux pères, membres de l’association des « Combattants de la paix », dédient leur existence à cette cause en racontant inlassablement leur drame commun à travers le monde. L’auteur irlandais nous fait pénétrer dans cette histoire par de multiples seuils ; il évoque l’origine de la balle qui a tué Abir, le goût de Smadar pour la danse, il décrit le vol des oiseaux migrateurs, le dernier repas de François Mitterrand, il cite Borges lors de sa visite à Jérusalem ou encore rappelle la traversée de la vallée de Hinnom par le funambule Philippe Petit. Chaque éclat s’intègre dans la longue et complexe chronique de cette terre qui a abouti à la mort injuste de ces enfants. L’humiliation des Palestiniens, le sentiment de peur des Israéliens, le mur de séparation et la vengeance sans fin alimentent la détestation réciproque des peuples voisins. Le roman, impressionnant de maîtrise, avance, revient sur ses pas, observe un détail à la loupe, prend de la hauteur, invente, fouille, mêle géopolitique et poésie tout en laissant la parole à ces deux héros bouleversants d’humanité qui croient au pouvoir des mots semés sur le chemin d’une paix vitale.
Aline Sirba