Bouclard, mars 2022, 160 p., 17 €.
Fabrice Chillet affirme n’avoir « aucune imagination ». Coquetterie ou pas, lorsqu’il rencontre Pyrate, il voit en lui un personnage de roman prêt à l’emploi. Ce livre est ainsi avant tout l’histoire de deux hommes : celui qui raconte et celui qui, fasciné, transforme ce récit en matière littéraire. Tous deux auraient pu se croiser auparavant : dans les mêmes années 1960, l’un naît à Rouen, l’autre à Brest, ils ont en commun la pratique de la navigation et l’amour de la mer, mais Pyrate est ce que Fabrice Chillet n’est pas : un aventurier, un anarchiste tôt cueilli par la révolte à la vue du naufrage de l’Amoco Cadiz en bordure des côtes bretonnes. L’homme a exercé mille et un métiers : moniteur de voile, pêcheur, observateur pour l’Ifremer, capitaine de marine marchande, convoyeur ; il a navigué sur tous les océans où il a essuyé des tempêtes et des cyclones ; il a vécu en Inde, à Madagascar, à Mayotte. Ses aventures font écho à celles des grandes figures romanesques, du capitaine Nemo à Gilliatt, mais elles ont le sel du réel et le sens éprouvé de l’humain. Au long de ses périples, Pyrate a partout été témoin de l’exploitation de la nature et de la misère humaine, ce qui a exacerbé sa colère contre le capitalisme destructeur et les lois iniques. Son butin ne se compte pas en pièces d’or, le trésor qu’il partage généreusement avec son interlocuteur est constitué de souvenirs, de rencontres, de morceaux de bois ou de coquillages éparpillés dans un tiroir. Pyrate est une « force qui va » souvent inadaptée au réel, à l’indignation intacte et aux zones d’ombre inatteignables, un Rimbaud des mers fulgurant et énigmatique qui nous embarque avec ses mots.
Aline Sirba