Le Tripode, janvier 2022, 304 p., 20 €
Depuis des siècles elle est Jeanne d’Arc, mais ce livre n’est pas une biographie d’historien. Ici, point de grands personnages ni de hauts faits. Le romancier parle de Johanne avant qu’elle ne devienne une héroïne et nous fait entrer dans la légende par la porte de l’enfance paysanne et lorraine de Johannette. Comme dans un conte, par un soir d’hiver glacial, la famille d’Arc offre l’hospitalité à un voyageur, entre fol-en-Christ et prophète, qui devant l’âtre raconte la faune, la flore, l’Ancien et le Nouveau Testament, les vies de saints, et exhibe ses médailles sous l’œil fasciné des enfants. Après cet épisode fondateur, le roman est consacré à la traversée du pays d’est en ouest par l’adolescente Johanne, accompagnée de l’escorte qui lui a été octroyé pour libérer la France des Anglais et faire sacrer le Dauphin. Ce voyage initiatique jusqu’à Chinon est rempli de dangers, avec ses forêts sombres et ses chemins hasardeux peuplés de créatures étranges : sorcière, lépreux, moine peu orthodoxe, pastoureaux, animaux fabuleux ; un parcours jalonné d’épreuves qui adoubent l’adolescente et la dépouillent de son innocence. Tout est matière à instruction pour cette jeune fille échappée de sa condition chevauchant une monture habillée en garçon. Marc Graciano fait preuve d’un esprit de syncrétisme, emprunte à plusieurs genres médiévaux, et fait se côtoyer le trivial et le merveilleux, le paganisme et la religion. Ample et sinueuse, sa phrase se prête magnifiquement à l’oralité envoûtante où nommer, c’est créer. La prose ponctuée de termes anciens n’a rien d’archaïque, car retourner à la source des mots, c’est inventer une langue « noëlle » qui tente de percer le mystère du monde, ce « Grand Poème ».
Aline Sirba
